mercredi 5 septembre 2012

La Raison des nations. Refléxions sur la démocratie en Europe, Pierre MANENT



Pierre MANENT, La Raison des nations. Réflexions sur la démocratie en Europe, Paris, Gallimard, 2006

Genre : Essai de philosophie politique

Thème général : Construction européenne,

Thème central : L’articulation entre nation peuple, souveraineté et démocratie.


            Pierre Manent entreprend dans cet ouvrage une « conversation citoyenne » autour d’un phénomène marquant : l’effacement voire le démantèlement de la forme politique en général (nation, cité…). C’est pourtant en elle que tous les éléments de nos vies se rassemblent et prennent sens. Dès l’avant propos, l’auteur lie la structure politique qu’est la Nation à la nature même de l’individu. Il va même jusqu’à poser la Nation comme cadre exclusif au sein duquel l’individu, en tant que citoyen, acquiert sa pleine humanité.
            Ce qui est en jeu dans cet ouvrage consiste en la nécessité vitale pour une communauté humaine structurée de retrouver les conditions de possibilité de ladite communauté. Cela implique de revenir aux sources mêmes de l’organisation politique d’un peuple, de revenir aux sources de la démocratie pour en réactiver l’origine.


                        I / Situation

            Dans ce chapitre liminaire, Pierre Manent développe l’idée selon laquelle nos démocraties sont aujourd’hui traversées par une passion inédite : la passion du semblable ou passion de la ressemblance. Travaillée par cette passion, l’opinion commune postule l’unification à venir de l’humanité. L’auteur observe en effet que les modèles de démocraties américaines et européennes, bien que différents, se fondent dans un même désir de voir l’humanité progresser vers son unification harmonieuse, de voir l’autre comme le même.
            Or, parce que cette volonté unificatrice et expansionniste s’interdit de pensée la différence, l’idée de Nation, avec tous les particularismes et frontières qu’elle implique, tend à s’effacer au nom de la démocratie.
            Ainsi, fait paradoxal, si les démocraties se sont construites grâce à l’idée de nation, elles se construisent aujourd’hui contre l’idée de nation. Autrement dit, la nation perd son pouvoir unificateur d’un peuple au nom d’un désir d’unification de tous les hommes. Bref, une conception holistique de la démocratie atomise la nation démocratique. Le concept de peuple perd alors en compréhension, au point que l’on se retrouve avec un kratos sans démos.        
                       
                        II / Démocratie :                

            Il s’agit désormais de savoir comment s’est nouée la question de la démocratie dans ses versions successives pour parvenir au point où elle est aujourd’hui.
            Tocqueville a définit la démocratie comme « égalité des conditions. » Pourtant, le surgissement de la question sociale à l’occasion du Printemps des peuples de 1848 comporte la constatation que ce n’est pas l’égalité qui règne alors mais, bien au contraire, une nouvelle inégalité des conditions. On pourrait dès lors croire Tocqueville réfuté et de fait, 1848 ne valide pas les thèses tocquevilliennes. Pourtant, le surgissement de Mai 68 réhabilite les thèses de La Démocratie en Amérique formulées en 1835 : la passion de l’égalité se dévoile de nouveau, on assiste à une « effervescence du sentiment de la ressemblance humaine », au sentiment du semblable dans lequel Tocqueville voyait le noyau actif et la cause intime de toutes les transformations politiques.
            En somme, 1848 et 1968 sont les deux dates qui illustrent la période où le problème de la démocratie se fond dans celui de la question sociale.

            La situation est aujourd’hui différente. Pour Manent nous sommes en train de quitter la période tocquevillienne inaugurée en 1776 par la Déclaration d’Indépendance américaine et close le 11 septembre 2001. Il apparaît en effet que le le XXIè siècle débute sur un nouveau paradoxe : la démocratie s’impose avec évidence tout en expulsant ses fondations que sont l’Etat-souverain et l’égalité des conditions qu’il fait advenir.
            Pierre Manent envisage trois raisons à cela.
                                   1 / Il est d’abord apparu que l’Etat-souverain garant d’une égale liberté pour tous était capable de se retourner contre cette égale liberté. En conséquence, une certaine hostilité à l’égard du pouvoir est apparue.
                                   2 / La deuxième raison réside dans l’idée assez répandue que nous n’avons plus besoin de l’appareil disproportionné qu’est l’Etat pour nous gouverner car les mœurs de l’égalité auraient été assimilés comme une seconde nature.
                                   3 / Enfin, la démocratie se tourne agressivement contre l’Etat-souverain au point de le destituer symboliquement. Pour Manent, l’abolition de la peine de mort dans tous les Etats européens est le signe le plus frappant de cette destitution. Si l’Etat donnait la mort, remarque Manent, il se conduirait comme un individu revenu à l’état de nature. Or, le rôle dévolu à l’Etat consiste à sortir de l’état de nature. Par conséquent, il semble délicat de légitimer du point de vue étatique un tel acte. Pourtant il continue à exister des crimes, signe de l’impossibilité humaine de totalement sortir de l’état de nature. Se pose alors une difficile question : l’Etat doit-il se faire symbole utopique d’une totale sortie de l’état de nature ou doit-il, à l’inverse, mimer la réalité d’une telle impossibilité ? En outre, il n’y a de peine de mort que dans un Etat souverain et représentatif. Contre la vengeance individuelle, l’Etat assure le monopole de la violence légitime. Mais lorsque l’Etat-nation se dépossède lui-même de la violence, ne perd-t-il pas et sa souveraineté et sa nature représentative ? En conservant la peine de la mort -donc la pleine souveraineté – les Etats-Unis ont donc choisi la pleine absoluité de l’Etat-souverain : ils ont fait le pari de choisir Hobbes.


                        III / Nation

            Le chapitre s’ouvre sur la constatation que le 11 septembre 2001 a produit l’effet d’une « catastrophe inaugurale » d’une nouvelle ère. Au-delà de la tragédie et de la sidération produite par cet événement, le 11 septembre a été l’occasion d’un terrible dessillement et de terribles désillusions.
            Première désillusion :  nous avions cru que l’essor exponentiel et global des moyens de communications devait produire une communauté humaine universelle. Or, force a été de constaté que la communication ne produisait pas la communauté. En même temps que nous assistions au sacre de l’ère de la communication, le monde se déchirait sous nos yeux de manière aussi inexorable que peut être irréversible.
            Seconde  désillusion : avoir pensé que la langue produisait la communauté. Le fait que tous les diplomates ou toutes les personnes en charge des affaires étrangères ou de la diplomatie manient correctement un anglais globalisé ne change rien aux dissensions et tensions existantes sur la scène internationale. La langue ne produit pas non plus la communauté.
            Ainsi, pour Pierre Manent, le 11 septembre 2001 offre la possibilité de se rappeler que la seule chose qui peut produire la communauté, c’est l’Etat-Nation en tant qu’union intime de civilisation et de liberté. Grâce à l’Etat-nation il s’est agit de donner la liberté à tous et pas seulement à un petit nombre de privilégiés. Bref, l’Etat-nation a permis l’extension de la vie civique, ou, autrement dit, du « vivre-libre ». Le problème est que nous ne savons plus apprécier ce qui a été accompli par l’Etat-Nation. Pour Manent, ce discrédit de l’Etat-Nation produit même le mépris de son histoire.
            Comme Arendt dans La Crise de la culture, Manent appelle de tous ses vœux à ce que nous renouions avec l’histoire pour en rétablir la continuité. Mais notre perception de l’histoire de l’Etat-nation est aveuglée par ce que Manent nomme « le rideau de feu de 1914-1945. » Ce rideau de feu, qui s’étend du début de la Première Guerre Mondiale à la fin de la Seconde, nous sépare de notre histoire politique. D’où la nécessité de rétablir l’intelligence de la continuité de l’Histoire.
           
            Ces considérations amènent Pierre Manent à questionner plus en détail ce délitement puis l’affaissement de la forme de l’Etat dans les démocraties européennes.
L’histoire enseigne que l’Etat souverain et le gouvernement représentatif ont toujours constitué les deux plus efficaces artifices inventés pour accommoder ensemble les individus dans une civilisation et rendre, dans le même temps, possible la liberté pour une incroyable masse d’hommes. Mais, constate Manent, l’Etat est de moins en moins souverain et le gouvernement de moins en moins représentatif. En revanche, les instruments de la nation démocratiques sont de plus en plus fonctionnels et de moins en moins politiques.
            Depuis rideau de feu, 2 nouveaux artifices ont fait jour :
                                   1/ La construction européenne qui restreint voire annule la souveraineté nationale. A partir du traité de Maastritch (1992) l’instrument européen se détache des corps politiques nationaux. L’artifice s’autonomise.
                                   2/ L’Etat-providence. Nous sommes passés d’un Etat structuré en fonction des conditions sociales et des diverses parties d’un peuple (XIXe siècle) à un Etat dont la mission consiste à garantir les droits non seulement « libéraux » (propriété, libre activité) mais aussi les « droits sociaux. » De fait, égalité des conditions oblige, il n’y plus de prolétaires : il n’y a que des exclus.
           
            Aujourd’hui, dans la mesure où l’Etat n’assure plus que la garantie des droits des sociétaires, nous sommes en passe de sortir d’un régime représentatif. De fait, Pierre Manent se demande si nous avons réellement besoin d’un Etat pour assurer la garantie de ces droits ou si une « gouvernance démocratique » (telle une administration régionale voire même, pourquoi pas, une société privée) ne ferait pas tout aussi bien l’affaire que l’auteur résume ainsi :
« D’un mot : l’action humaine n’a plus pour nous de légitimité, et même, finalement d’intelligibilité que si elle peut être subsumée sous une règle universelle de droit ou sous un principe ‘’éthique’’ universel. » (p.59) Le problème posé par un tel état de fait vient de ce que le radicalisme éthique prive la délibération politique de sa légitimité et de sa raison d’être. On trouve alors chez Manent l’affirmation que le radicalisme démocratique et notre conception « éthique » de l’action humaine nous ont rendu incapables d’action politique et privés de notre liberté (par ex. entrée de la Turquie en Europe où la question politique se trouvait en fait à devoir délibérer sur un fait religieux inavouable).

                       

            IV / Religion

            Comment parler politiquement de la religion ? Comment penser objectivement la religion ? Pensée subjectivement, nous achoppons sur le débat de savoir si on assiste à un retour du religieux quand d'autres affirment son déclin. Nous ne pouvons penser objectivement la religion qu'en la pensant politiquement : la religion n'est objective que comme fait politique.
A cet égard, se demande Pierre Manent, comment ne pas voir que la bipolarisation politique du monde et aussi une bipolarisation religieuse entre un "Occident chrétien" et l'Islam ? Pour autant, la relation chiasmique entre Occident chrétien et Islam est déséquilibrée dans la mesure où l’Islam n’a pas encore trouvé sa forme politique. En effet, bien que l’on puisse établir des rapprochements entre l’Islam et la forme d’un empire dont la dernière concrétisation eût été l’Empire ottoman, il faut admettre que l’abolition du califat par Mustafa Kemal en 1924 a fait de l’Islam une sorte d’empire sans empereur.
En définitive, le conflit avec l’Islam est du au fait que la forme politique de l’Islam, c’est plutôt l’empire expansionniste que l’Etat-nation.   
            Pierre Manent opère ensuite un glissement dans sa démonstration. Alors que comme nous l’avons vu, l'Union européenne et l'Etat-providence apparaissaient comme causes principales de l'affaissement des nations européennes, la laïcité est également attaquée. L’auteur défend l’idée selon laquelle la loi ne peut être que religieuse pour être légitime et que les nations ne seront pérennes et stables qu’à condition d’être assises sur la religion. Nation et religion doivent coïncider pour qu’une nation soit stable. C’est une idée force chez Pierre Manent de poser que l’Etat laïque ne peut survivre à l’Etat-Nation. Une fois la nation abandonnée comme communauté sacrée et transcendante, l’Etat laïque est à son tour laïcisé et se réduit à n’être plus qu’un des innombrables objets de gouvernance déjà révélés par le philosophe. La désacralisation de la nation, quelle qu'en soit la raison, transforme l'Etat en simple échelon technique de gouvernement, pas moins ou pas plus légitime qu'un conseil de quartier, un conseil municipal ou un parlement européen.
Dans ce chapitre, la cause réelle de l’effondrement de l’Etat-nation devient, non pas l’Europe, mais l’ impossible laïcité.



         Conclusion :

Ce bref et percutant essai rappelle avec beaucoup de clarté que l’Etat-nation ou la souveraineté nationale n’est absolument pas réductible au nationalisme mais que, au contraire, il s’impose comme la condition de possibilité et de viabilité de la démocratie. Mais si la démocratie a besoin de la souveraineté de l’Etat-nation pour se maintenir, cette souveraineté requiert aussi le recours à la force, la contrainte voire même la guerre. Il faut se garder d’une vision naïve de la démocratie. L’Etat de nature hobbesien n’est jamais loin…






Fiche de lecture : La crise de la cutlure. Hannah Arendt


Hannah ARENDT, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1989

Titre original : Between past and future Eight exercises in political thought, New-York, Viking Press, 1969

Genre : essai politique, recueil d’articles

Thèmes de l’ouvrage : Concepts modernes d’histoire, d’autorité et liberté, rapports entre vérité et politique, éducation. Questionnement critique de chacun de ces concepts au regard de la tradition.


·     Structure de l’ouvrage :

- Chapitres I à III : plus expérimentaux que critiques. Retour aux classiques avec Platon et Aristote. Explorent successivement la rupture moderne avec la tradition (I), les concepts d’autorité et de liberté (II et III).
- Chapitres IV à VIII : plus critiques qu’expérimentaux. Tentatives d’application du mode de pensée défini dans les deux premières parties. N’apporte pas de solution aboutie et définitive mais tente de clarifier les problèmes.

  • Une pensée articulée sur trois mouvements :

                                               1 - Analyser la rupture moderne de la tradition et le concept d’histoire. Expliquer la substitution des concepts de la métaphysique traditionnelle par celui d’histoire.
                                                         2 - Analyser les concepts centraux et liés d’autorité et de liberté
au regard du dépérissement fatal de la tradition.
                                               3 - Tenter d’appliquer le mode de pensée mis à l’épreuve dans les deux premières parties aux problèmes actuels.

·     Préface :       

Les huit exercices de pensée que nous propose ici Arendt sont autant d’articles indépendants rédigés à différents moments de sa vie. Pour autant, Arendt nous montre que leur recollection en un seul et même ouvrage n’est pas artificielle mais cohérente : loin d’être une addition d’articles hétérogènes, La Crise de la culture possède sa propre unité, sa propre homogénéité. L’épine dorsale de La Crise de la culture est toute entière contenu dans cette question transverse : comment se mouvoir dans la brèche entre le passé et le futur alors qu’il n’est plus possible de s’appuyer sur la tradition ou sur l’histoire ? Partant du constat que le fil de la tradition est rompu, Arendt défend une conception de l’autorité et de la liberté qui lui permet d’étudier différentes questions d’actualité : la crise de l’éducation, la crise de la culture, la question du lien entre vérité et politique et la question des enjeux philosophiques d’une conquête de l’espace.


1-   La tradition et l’âge moderne :

Dans cet article, Arendt parle d’un moment fondamental : celui où Kierkegaard défie les thèses traditionnelles de la religion, Marx celles de la pensée politiques et Nietzsche celles de la métaphysique. Ces trois philosophes sont symptomatiques de la rupture avec la tradition qu’ils annoncent. Leur prédécesseur immédiat fut Hegel. Avec eux, on assiste à un renversement de la hiérarchie traditionnelle des concepts.
Arendt formule à Kierkegaard, Marx et Nietzsche le reproche de s’opposer à la tradition tout en continuant à lui emprunter des concepts : «  Kierkegaard, Marx et Nietzsche sont pour nous comme les guides d’un passé qui a perdu son autorité. Ils furent les premiers à oser penser sans la houlette d’aucune autorité quelle qu’elle fût ; cependant, pour le meilleur et pour le pire, ils furent encore retenus par le cadre des catégories de la grande tradition. »
Plus encore que cet échec de la contestation de la tradition, c’est une thématique commune qui fait converger ces trois philosophes : ils contestent la tradition en tant qu’elle fait apparaître une conception trop abstraite de la philosophie. Kierkegaard prône la prise en compte de la souffrance, Marx du travail, Nietzsche de la vie. L’effet de l’âge moderne dont ils sont les trois représentants et qu’il n’y a plus de vérité sur laquelle s’appuyer mais uniquement « des simples valeurs dont la validité est déterminée non plus par un ou plusieurs hommes mais par la société comme totalité dans ses besoins fonctionnels en perpétuel changement. » (p.57)




            2 – Le concept d’histoire (antique et moderne)

Cet article fait logiquement suite au précédent car Hannah Arendt y analyse le recours par les philosophes au concept d’histoire comme tentative de renouer avec une nouvelle tradition.
Elle s’oppose ainsi aux thèses matérialistes de Marx qui fait de l’histoire le produit d’une « fabrication » humaine (installant ainsi une confusion entre histoire et politique). Elle démontre clairement que « l'objectivité » et le positivisme n'existent pas pour l’histoire car elle est liée à la question de la personnalité des agents et de la compréhension des phénomènes par ces agents. L’histoire s'articule autour des actions humaines. Elle est une herméneutique, une science de l'interprétation.

Arendt commence par comparer le discours sur l’histoire avec celui sur la nature, les deux reposant sur la notion de processus. Elle poursuit en analysant l’intérêt du discours sur l’histoire : il permet la sécularisation de la notion chrétienne d’immortalité par la notion d’apparition de l’immortalité terrestre. En conclusion, Arendt pose que le discours sur l’histoire permet de donner un sens à l’action politique sinon trop fragile.  L'Histoire donne du sens à l'action passée et future. Elle n’est pas recherche de vérité : elle est recherche de sens. Tout événement doit avoir dans les consciences de ceux qui racontent l'histoire, un sens après l'acte, un achèvement de la pensée.
Sans cette articulation de la pensée accomplie, il ne reste aucune histoire qui puisse être racontée.
En fait, toute l’argumentation d’Arendt prend le contre-pied de la conception classique. Pour la conception classique, en effet, le phénomène de la sécularisation (comme perte du rapport à  la transcendance) correspond à un réinvestissement positif d’un monde immanent depuis trop longtemps méprisé. Or, toute la conception arendtienne de la modernité vise au contraire à démontrer que celle-ci se caractérise justement par une perte radicale que traduit l’ « aliénation au monde », l’aliénation aux lois de l’univers. En rompant avec toutes les transcendances, l’homme s’est perdu de la manière la plus sûre. Pour Arendt, la perte radicale de toutes les formes de transcendances corrélée à l’enfermement de l’homme à l’intérieur de lui-même produit, comme chez Tocqueville, l’effacement d’un monde.


            3 – Qu’est-ce que l’autorité ?

Une définition : « S'il faut vraiment définir l'autorité', alors ce doit être en l'opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. (La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit  ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu'ils ont en commun, c'est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d'avance leur place fixée.) » L’autorité doit donc être distinguée de la domination qui implique un rapport de force et donc la violence. L’autorité, bien qu’elle réclame une soumission partielle ou totale ne peut se fonder hors du consentement libre des sujets qui obéissent par respect et non par contrainte.

La crise de l’autorité : Dans cet article, pour faire suite à son analyse de la rupture avec la tradition. Arendt s’intéresse à la crise de l’autorité en partant du postulat que l’autorité aurait disparu du monde moderne alors qu’il s’agit d’un concept fondamental des sciences politiques. Arendt parle de « crise » dans la mesure où on assisterait à un effondrement plus ou moins généralisé de toutes les autorités traditionnelles. De plus, le déclin de l’autorité serait une des clefs de la crise de la culture que nous vivons actuellement.
Arendt débute son examen par une analyse du modèle romain d’autorité. Elle remarque que ce dernier reposait tout entier sur cette notion centrale de fondation dans la mesure où « l’autorité, au contraire du pouvoir (potestas) avait ses racines dans le passé. » (p. 161) Elle ajoute page 182 que « la fondation était l'action politique centrale, le grand acte unique qui établissait le domaine publico-politique et rendait la politique possible. »
Or, Arendt estime que les tentatives d’une restauration de l’autorité ne sont en fait qu’une manière de retrouver voire réparer les fondations de la tradition. Mais, force est de constater, avec Arendt, que les diverses tentatives de réitérer un acte de fondation pour restaurer l’autorité et la tradition se sont toutes révélées insuffisantes, à l’exception notable toutefois de la Révolution américaine.
En définitive, la disparition de l’autorité ne serait que la phase finale et décisive d’une évolution qui pendant des siècles a sapé les fondements de la religion et de la tradition. Si la religion et la tradition étaient ébranlées, restait l’autorité pour assurer un continuum et la stabilité des domaines publiques et politiques. Mais aujourd’hui, l’autorité elle-même s’effondre plongeant le monde moderne dans un doute généralisé et radical.


           


            4 - Qu’est-ce que la liberté ?

Pour Arendt, la liberté n’est pas un phénomène de la volonté intérieure (libre-arbitre) mais une propriété de l’action extérieure : « Etre libre et agir ne font qu’un. » (p. 198)  Les hommes ne sont libres qu’aussi longtemps qu’ils agissent. Arendt considère la liberté comme une forme de virtuosité dans l’action, c’est-à-dire comme la capacité de faire advenir l’improbable par le seul fait d’intervenir dans le monde. C’est en ce sens que l’on peut parler du miracle de la liberté et considérer l’homme comme un « faiseur de miracle » dans la mesure où il fait se produire ce qui, sans lui, aurait eu très peu de chance d'arriver. La liberté étonne : elle est innovatrice. On voit le lien entre cette conception de la liberté et la conception de l'éducation chez Arendt : l'enfant est porteur d'innovation; l'éducation doit l'aider à devenir un nouvel adulte libre, c'est-à-dire innovant. Toute éducation est une éducation à la liberté.

La liberté, raison d’être de la politique ?       

Pour Arendt, le politique est un espace pluriel de délibération : un espace de liberté. Le but de la politique est de mettre en place un tel espace : « La liberté est la raison d'être de la politique ». Le pouvoir politique est l'initiative à plusieurs sur la base du débat et de la concertation entre adulte ; ce n'est donc pas la domination. Il est liberté partagée. La violence, qu'elle prenne la forme insidieuse de la gestion de l'oppression ou celle, brutale, de la terreur, est le contraire du pouvoir politique. La liberté est donc bien une raison d’être du politique.
Pourtant, l’homme pense souvent qu’une liberté parfaite est incompatible avec la vie en société. C’est en fait inexact car il n’est pas dangereux de penser. Seule l’action doit être contenue.


            5 - La crise de l’éducation :

Cet article s'appuie sur la conception de la liberté développée dans l'essai précédent : Arendt y analyse la crise de l'éducation aux États-Unis comme élément particulièrement représentatif de la crise de la société actuelle. C’est un concept transversal dans la pensée d’Arendt qui a déjà évoqué à plusieurs reprises la place de l’éducation dans la vie de la cité. Développement ambigu, pensée progressiste mais aussi prises de position conservatrices.
            Arendt discerne trois facteurs explicatifs de cette crise :
                        1 /  Le fait de penser qu’il existe un monde propre à l’enfance (« le monde de l’enfance ») car c’est là le meilleur moyen de couper l’enfant de la communauté.
                        2 /  Le développement des méthodes modernes d’éducation ou psychopédagogie. A cause d’elles, enseigner consisterait juste en la maîtrise d’une série de techniques. Or cela ne peut se faire qu’au détriment du savoir du maître.
                        3 /  Conception de l’éducation qui met l’accent sur le registre du faire : c’est l’inverse de l’instruction.
Selon Arendt, il est nécessaire de séparer clairement le domaine de l'éducation des autres domaines, et surtout celui de la vie politique et publique. De plus, c'est au seul domaine de l'éducation que nous devons appliquer une notion d'autorité et une attitude envers le passé.
En pratique, il en résulte d’abord qu’il faudrait bien faire comprendre que le rôle de l’école est d’apprendre aux enfants ce qu’est le monde et non leur inculquer « un art de vivre ». Il en résulte ensuite que la ligne qui sépare les enfants des adultes devrait signifier qu’on ne peut ni éduquer les adultes ni traiter les enfants comme des grandes personnes. Enfin, il faut admettre que l’éducation, dans la mesure où elle se distingue du seul fait d’apprendre doit se voir assigner un terme.
D’une manière générale, l’éducation doit préparer à l’avance les enfants à assumer la tâche de renouveler un monde commun.


            6 - La Crise la culture :
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Pour Arendt, la société de masse a rompu le fil de la tradition culturelle dans la mesure où celle-ci se caractérise par le fait qu’elle est en même temps « société de consommation. » Dans une telle société, la culture est vouée à n’être qu’un objet de consommation destiné à entretenir le processus vital et non à rompre avec lui ainsi que la frontière traditionnelle entre temps de travail et loisir l’établissait. Conséquence de la société de consommation, tous les objets sont réduits à une valeur d’usage soumise aux modes, à l’usure, à l’obsolescence…
Autre fait remarquable de la société de masse : le philistin y prospère. Il peut même viser un philistinisme cultivé qui ne voit dans la culture qu’un moyen avoué ou non de servir ses intérêts narcissiques et prosaïques. Si le consommateur de la société de masse réduit tout objet à une valeur d’usage, le philistin, quant à lui ruine les objets culturels en les réduisant à une valeur d’échange. Ainsi, le philistin fait perdre aux objets culturels « leur plus importante et leur plus fondamentale qualité : ravir et émouvoir le lecteur ou le spectateur par-delà les siècles. » (p. 259-260). Ce qui intéresse le philistin dans l’art : l’acquisition d’un statut social correspondant au raffinement individuel et social des biens culturels qu’il entend investir.
Arendt interroge ensuite la portée politique de la crise de culture et pour ce faire, s’intéresse au lien entre art et politique qui relèvent tout deux de la sphère publique. S’appuyant sur le jugement de goût tel qu’il est définit par Kant par dans la Critique de la faculté de juger, Arendt montre que le goût est la faculté politique qui crée la culture. Etre cultivé ne signifie donc pas de s’intéresser à l’art comme à un objet de consommation ou un savoir, être cultivé c’est être capable de jugement.


            7 - Vérité et politique :

Dire la vérité est un facteur intangible de durée pour l’Etat. Pour Platon, rien ne justifie le mensonge politique, même la survie de la cité.
Pour Kant, la vérité doit prévaloir dans tous les cas. A ce titre, le droit humain doit prévaloir sans égard pour la quantité de sacrifices éventuellement exigée des pouvoirs. Problème : de tels propos deviennent pures chimères dans le contexte du monde politique.
Spinoza, quant à la lui, pense qu’il n’y a pas de plus haute loi que celle de sa propre sécurité. Si nous concevons l’action politique en termes de moyens et de fins, le mensonge peut servir à établir ou à sauvegarder les conditions de la recherche de la vérité.
Pour Hobbes, une vérité qui ne s’oppose à aucun intérêt ni plaisir humain, reçoit un bon accueil.
Il apparaît dès lors clair que dans la plupart des états, il y a conflit entre vérité et politique.
Dans une tentative de clarification Arendt nous invite à distinguer entre deux types de vérités : la vérité des faits et la vérité de la raison. Pour Arendt, la politique porte préjudice aux vérités de faits en transformant les faits en opinions. La défense des opinions et le refus de soumission à la vérité expliquent le recours à la persuasion en politique.
Conséquence : les chances pour la vérité de survivre à l’assaut du pouvoir politique sont minces. Arendt décrit alors la politique comme le champ d’expression du mensonge.


            8 - La conquête de l’espace et la dimension de l’homme :

La conquête de l’espace, à laquelle assiste Arendt, invite à raisonner sur l’importance de la place de l’homme dans son monde et sur sa relativité dans l’espace. L’analyse de sa place dans le cosmos devrait contraindre l’homme à opter pour une vision moins anthropomorphique et moins éthno-centrée. Arendt conteste l’idée selon laquelle la conquête de l’espace permettrait d’accroître la dimension de l’homme. De son point de vue, il est plus à craindre que l’orgueil, par sa prétention à manipuler la nature, mène à la destruction de l’espèce humaine.
La science contemporaine à la conquête de l’espace ne cherche plus à augmenter et ordonner l’univers comme le faisait jadis les savants, la science contemporaine tente de découvrir ce qui se cache derrière les phénomènes naturels tels qu’ils se révèlent à nous. La question centrale, unique objet de la science du XXème siècle, est de découvrir ce qui se cache derrière les apparences.


            Conclusion sur l’ouvrage :

Hannah Arendt, à travers ces essais d'interprétation critique - notamment de la tradition et des concepts modernes d'histoire, d'autorité et de liberté, des rapports entre vérité et politique, de la crise de l'éducation - entend nous aider à savoir comment penser en notre siècle pour réinviter un monde commun.


mercredi 2 mai 2012

Histoire du surréalisme, Maurice Nadeau



Maurice NADEAU, Histoire du surréalisme, 1970

Genre : Essai historique

Thèmes : Surréalisme, Dadaïsme. Histoire du mouvement surréaliste tel qu’il s’est développé entre les deux guerres mondiales.

Protagonistes : Breton, Tzara, Aragon, Eluard, Jarry, Picabia, Crevel, Dali…

Plan de la fiche (thématique) :
Ÿ         Qu’est-ce que le surréalisme ?
Ÿ         Qui sont les surréalistes ?
Ÿ         Procédés surréalistes
Ÿ         Quelles sont les influences déterminantes du mouvement surréaliste ?
Ÿ         Le surréalisme, la révolte et la révolution

Ÿ         Qu’est-ce que le surréalisme ?

Pour Breton, le surréalisme n’est ni une école littéraire, ni une école artistique : c’est un état d’esprit, une attitude en procès constant avec le réalisme et la logique. Un nihilisme radical nourrit leur démarche révolutionnaire qui saccompagne dun rejet de la raison, de la logique et des valeurs. Il s’agit en effet de renoncer à toutes les productions que la raison engendre (notamment le roman) et laisser l’imagination lever tous les interdits. On pourrait le définir comme une disposition d’esprit qui se donne pour vocation d’approfondir le réel plus que de le transcender.
En 1924, Breton officialise le groupe surréaliste agrégé autour de lui et définit le mouvement en ces termes dans le Manifeste du surréalisme :
« Surréalisme (…) automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. (…) Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé des mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. » Le surréalisme exprime son désir de ne plus voir séparer l’art de la vie. Son idéalisme pur repose tout entier sur la puissance de l’inconscient et de ses manifestations (rêves, écriture automatique, destruction de la logique et de tout ce qui s’appuie sur elle). Ce programme se double d’un caractère volontiers provocateur au lendemain des massacres de la Première Guerre mondiale.

Ÿ         Qui sont les surréalistes ?

Réunis autour du chef de file André Breton, les premiers surréalistes (Louis Aragon, Paul Eluard, Philippe Soupault, Paul Reverdy) sont  avant tout des jeunes gens sortis écœurés et révoltés des tranchées de la Grande Guerre. L’expérience de ce massacre et le climat de défaitisme les incite à rejeter en bloc toutes les valeurs traditionnelles car elles sont le fruit pourri de la raison. Ils se déclarent en insurrection contre l’Histoire. Antibourgeois, antinationaliste et provocateurs, les surréalistes défendront à plusieurs reprises (du moins théoriquement) le recours à la violence voire au meurtre (cf. par exemple le Traité du style d’Aragon en 1928).  Très vite, leurs parcours sont émaillés de scandales souvent conséquents (cf. la bagarre de La Closerie des Lilas). Sous l’influence de Dada et dès 1919, les surréalistes vont développer leur goût de la subversion et affirmer des tendances révolutionnaires. Leur programme révolutionnaire sera d’abord de « changer la vie » (influence : Rimbaud) avant de chercher à changer le monde (influences : Marx, Lénine, Trostsky). D’un mouvement parti d’un idéalisme quasi-mystique de l’esprit sur la matière, on aboutit, au moins théoriquement à un matérialisme de la révolution qui fera parler alors de « révolution surréaliste ». La révolution d’abord poétique tentera de produire une révolution politique.

Ÿ         Procédés surréalistes :

L’écriture automatique : Breton et Soupault s’y adonnent dans Les Champs magnétiques (1919). Ils considèrent l’écriture automatique comme une « pensée parlée ». Ce procédé vise à prouver l’existence d’une matière mentale nouvelle et hallucinatoire à laquelle on accèderait par l’expérience de l’hypnose et d’états proches du sommeil. Il s’agit d’investir une pensée libérée de l’étroitesse de la raison par le lâcher-prise. L’écriture automatique est un moyen de « connaissance de continents inexplorés » (Breton).
+ les collages, associations libres, jeu du « cadavre exquis »…

Ÿ         Quelles sont les influences déterminantes du mouvement surréalistes ?

Influence originelle : En 1916, Breton rencontre un personnage fantasque et fou : Jacques Vaché dont l’un des passe-temps favoris consiste à peindre des cartes postales de mode qu’il assortit de légendes bizarres. Il n’obéit qu’à une loi « l’umour (sans h) » et prône « la désertion à l’intérieur de soi-même ». Sa personnalité aura une influence considérable sur Breton et le surréalisme à venir. 1916 correspond aussi au début du mouvement Dada qui sème pour l’instant le trouble à Zurich.

Influences des débuts :            
Ÿ         Sade pour son opposition radicale aux valeurs traditionnelles.
Ÿ         Le Romantisme français, anglais et surtout allemand
Ÿ         Le Roman noir du XVIIIème pour son opposition à la raison.
Ÿ         Baudelaire pour son expression du mystère de la vie quotidienne.
Ÿ         Rimbaud
Ÿ         Lautréamont et les Chants de Maldoror.
Ÿ         Freud pour sa théorie de l’inconscient et ses travaux sur le rêve.

Influences décisives :
Ÿ         Le mouvement Dada et son chef de file, Tristan Tzara. En 1919, les Dadas arrivent à Paris (avec Françis Picabia, Marcel Duchamp et ses ready-made). Cette arrivée bouleverse les surréalistes. Avec Tzara, le surréalisme prend une autre forme et se radicalise. Dada et surréalistes cultivent alors ensemble l’art de la provocation et du scandale. Tzara se fait le catalyseur des tendances révolutionnaires qui vont s’affirmer chez les surréalistes. Participation des surréalistes aux « spectacles-provocation » des Dadas. Chahuts, scandales, provocations. Tzara voulait prolonger, au moins artificiellement, sur le plan idéologique, l’état anarchique de l’armistice dans un contexte d’instabilité économique, sociale et politique de l’Europe.
Ÿ         Nouveau tournant : la Guerre du Maroc en 1925. Dans leur volonté de destruction de la société bourgeoise capitaliste, les surréalistes entendent mener la Révolution de front avec des organisations para-communistes (parmi lesquelles, la revue Clarté, la seule à mener une action idéologique efficace contre la guerre du Maroc). Nouvelles idoles : Lénine et Trotsky. Bien qu’Aragon prendra sa carte du parti communiste dès 1930, la relation entre le P.C.F. et les surréalistes demeurera tendue et défiante.
Ÿ         Salvador Dali et sa théorie de la paranoïa-critique élaborée en parallèle de la publication des thèses de Lacan sur la paranoïa. Pour Dalí, la paranoïa est une activité systématisée qui vise à produire une intrusion scandaleuse dans le monde des désirs. Dali crée des « objets surréalistes » i. e., tout objet sorti de son cadre habituel, dépaysé. DalI renouvelle le crédo surréaliste en posant que la paranoïa est active alors que l’automatisme et les rêves sont passifs. Ce n’est plus l’inconscient au service de la vie, mais la vie au service de l’inconscient.

Ÿ         Le surréalisme, la révolte et la révolution :

1/Le temps de « l’idéalisme quasi-mystique de l’esprit sur la matière » : Les surréalistes ont d’abord cantonné leur programme révolutionnaire au langage de la poésie et au maniement de l’art subtil de la provocation largement inspiré par Dada. La révolution qu’ils entendent mener à ce moment-là n’a rien de programmatique mais tout du capharnaüm. Mais les surréalistes vont finalement rompre avec Dada et l’agitation destructrice qui caractérisait le groupe. La rupture définitive entre Breton et Tzara aura lieu en 1922.
Idée importante en 1925 :  la Révolution est dans les idées (Aragon). Les surréalistes refusent le pragmatisme, déshonorant selon eux. Toutefois, toujours en 1925, Breton commence à percevoir  les faiblesses d’une telle position et ouvre une nouvelle voie : « Les surréalistes annoncent leur intention de ne pas s’en tenir à l’écriture et d’avoir éventuellement recours à des matériaux matériels pour mener à bien l’entreprise pourtant désespérée de leur Révolution» (déclaration du 27 janvier 1925).

2/Le temps du matérialisme dialectique de la Révolution : La Guerre du Maroc de 1925 est un déclencheur : pour les surréalistes, il ne s’agit plus d’une simple et inopérante « Révolution de l’esprit » car désormais, c’est bel et bien une révolution sociale et politique qu’ils entendent mener. Désormais, on ne veut considérer la Révolution que sous sa forme économique et sociale. Un nouveau manifeste voit le jour : « La Révolution d’abord et toujours ! »
Mais les relations avec les bolchéviques sont tendues même si dès 1926, les surréalistes se disent « jeune intelligence révolutionnaire acquise au communisme. » Alors que faire ? Se cantonner dans  un anarchisme incapable de justifier une révolution ou versé malgré tout dans le marxisme au risque de se voir satellisé par le PC et perdre son autonomie ? Cette question polémique, soulevé par Naville, précipite le groupe au bord de la scission. La conséquence en est que pour un temps, le surréalisme se renferme sur lui-même et se recentre sur ses activités initiales jusqu’à la crise interne de 1929 émergée de la question récurrente de savoir si oui ou non le mouvement devait se mettre aux ordres du PCF. La question n’était pas simple, même pour Breton qui s’inspira pourtant du système des purges soviétiques pour légitimé l’exclusion abusive de nombreux membres du groupe.
En 1930, Aragon se convertit au communisme et veut faire reconnaître l’action de la IIIème Internationale comme seule action révolutionnaire possible. Son prosélytisme déplaît au sein du groupe surréaliste. En même temps, les surréalistes s’enferment dans leur propre contradiction en rappelant que leurs écrits n’engagent pas leurs actes. Ils prétendent donc que leurs écrits n’ont pas à présager de la moindre de leurs actions tout en penchant du côté de la Révolution… Bref, ils souhaitent la réalisation d’un idéal révolutionnaire qu’ils défendent sans toutefois prendre la peine de s’engager personnellement dans la réalisation de cet idéal. On leur reproche de fuir leurs responsabilités (Gide), de « se dérober derrière le paravent de l’art qui excuse tout. » (Gide) Aragon finira par franchir le pas et renier le surréalisme pour se rallier tout entier à la cause communiste.
1933 : élaboration d’une politique du surréalisme. Il s’agit de se dégager de l’influence de la IIIème Internationale. Relations encore plus tendues avec le PCF depuis la rupture avec Aragon. En France, en 1933 et 1934, le climat politique est marqué par un très fort anti-parlementarisme (grève générale, tentative de coup d’état du 6 février. Rupture définitive des surréalistes avec le communisme (mais pas avec la Révolution !).
                                   Projet politique :        - lutter contre le capitalisme qui évoluera vers sa propre                                                                                  destruction du fait de ses contradictions.
                                                                       - Socialisation des moyens de productions.

                                                                       -  Reconnaissance de la lutte des classes comme facteurs                                                                               historiques  et comme source de valeurs morales essentielles.

Face à la montée du fascisme, la contre-attaque révolutionnaire se devra d’être particulièrement agressive. Les surréalistes ont, à de très nombreuses reprises, défendu le recours à la violence.
L’absence de racine du mouvement dans le prolétariat fera avorter le mouvement.






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