vendredi 4 février 2011

Le cosmopolitisme

Le cosmopolitisme


    Qu'est-ce que le cosmopolitisme ? Une fois de plus, c'est dans l'étymologie que l'on puisera le germe d'un élément de réponse : cosmopolitês, en grec, traduisant littéralement l’expression désormais consacrée de « citoyen [politês] du monde#». L’adhésion au concept de cosmopolitisme implique de considérer l’homme comme appartenant à l’humanité toute entière, et non pas seulement à la seule cité qui lui a donné naissance. Toutefois, il ne s’agit pas de renier une appartenance nationale, culturelle ou religieuse mais de dépasser cette appartenance. Le cosmopolitisme est donc pensé comme un dépassement des particularismes capable de reconnaître et d’admettre l’existence de ces particularismes car, comme l’avait déjà remarqué Cicéron, c’est par l’intermédiaire de la communauté particulière que l’individu peut s’intégrer à la « cité universelle ». De cette manière, le cosmopolitisme rêvé par Kant dans son Projet de paix perpétuelle ne correspond qu’à une libre association des nations régies par un droit universel mais ne traduit en aucun cas la volonté d’abolir les frontières ou de dissoudre les cultures dans un universalisme utopique commun. Les cultures particulières conservent donc leurs places différenciées, seul le droit devient cosmopolite. Il n’est donc pas question pour les nations d’abandonner leurs souverainetés ou leurs traditions tant que l’exercice de ces dernières ne contrevient pas aux prérogatives d’un droit international transcendant. De fait, l’idée même de cosmopolitisme ne s’oppose pas à la coexistence de différentes cultures pas plus qu’elle ne s’oppose à l’interculturalité. Il faut se garder de confondre le cosmopolitisme avec une volonté d’uniformisation du monde où les nations ne pourraient exister qu’en fonction du monopole d’une entité collective et absolue : le cosmopolitisme ne doit pas permettre le totalitarisme. A l’inverse, le cosmopolitisme ne doit pas être naïvement conçu comme une l’apologie des communautarismes pour la simple et bonne raison que le propre d’un communautarisme est de refuser l’allégeance au principe supérieur et hétéronome de la loi civile. Il est à cet égard important de noter que les communautarismes ont la prétention d’élever à la sphère publique des règles et principes qui ne relèvent que de la sphère privée. Le cosmopolitisme n‘autorise pas le communautarisme.
D’un point de vue kantien, le cosmopolitisme n’est qu’un idéal régulateur destiné à pacifier les relations entre les nations et son domaine d’intervention se cantonne à la sphère publique des relations entre états. La sphère privée n’intéresse pas le cosmopolitisme. Aussi, s’affirmer « pour le cosmopolitisme » car « contre le multiculturalisme » n’est qu’un sophisme malheureux mais fort répandu qui tient tant à l’imprécision dans l’emploi des termes qu’au manque de discernement entre les deux sphères du public et du privé#.
Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins que le cosmopolitisme est une notion éminemment problématique et ce à plusieurs points de vue. Tout d’abord, le cosmopolitisme souffre d’un statut indéfini sur l’échelle du temps car il se conçoit à la fois comme l’ « horizon idéal » de la politique au bout duquel se réaliseraient le rêve d’une justice sociale et de sécurité individuelle et à la fois comme un cosmopolitisme de fait plus subi que voulu. En temps qu’horizon de sens d’une politique humaniste , il correspond à un principe téléologique ultime guidé par l’universalisme, notion elle-même problématique du point de vue de sa validité. De ce point de vue, on discerne une fonction utopique du cosmopolitisme comme idéal. A l’inverse, il existe un cosmopolitisme de faits, bien réel cette fois, dont la réalisation inconsciente déborde l’espace du projet et d’une volonté commune. Ce cosmopolitisme perdure bien sur des lois et en fonction de principes tenus pour supérieurs voire intrinsèques à la nature des hommes mais ces principes conduisent en définitive à la perversion principielle du politique, à savoir, le renoncement à une prise en compte de la pluralité des hommes et des différences qui leurs sont constitutives. Comme l’avait compris Hannah Arendt, « la politique traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents »#. Or, lorsqu’elle renonce à le faire au profit d’une stratégie globale d’échanges et de communications unifiés, la politique sort du principe de la diversité. De la même manière, la diversité est l’affaire du cosmopolitisme et il doit être capable de l’inclure du fait même que le cosmopolitisme est par essence un principe d’inclusion. Un cosmopolitisme dégénéré qui tend à effacer les particularismes au nom d’un modèle unique qui n’incorpore plus la différence mais perdure sur la répétition du même devient alors un modèle d’exclusion qui sape les fondements même de ce qu’il avait vocation à instituer : une communauté d’hommes, citoyens d’un monde pluriel. L’échec politique du cosmopolitisme capitaliste contemporain tient à sa faculté de substituer un modèle d’homogénéité en lieu et place d’un modèle d’hétérogénéité# et au déterminisme qu’il impose en faisant l’économie de son rôle de régulation. Il apparaît dès lors que le cosmopolitisme capitaliste contemporain rétablit la loi du plus fort au détriment d’une loi civile instituée à l’échelle du monde pour apporter un cadre normatif aux relations entre états (…).

Quotidien ordinaire

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